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Engagement et influence : pour les célébrités ou les marques, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités...

2ème édition de la newsletter "L'optimisme en mouvement"

#TaylorSwift, l’une des figures les plus influentes de la pop culture, a donc pris position mardin dernier en faveur de #KamalaHarris après le débat télévisé de celle-ci contre #DonaldTrump (à revoir ici dans son intégralité si vous l’avez manqué ou alors ici en très résumé). Dans un post « liké » par près de 6 millions de personnes en une journée, elle explique avoir choisi Harris parce que cette dernière « se bat pour les causes et les droits auxquels je crois ». Une prise de position publique qui confirme l’énorme influence que Taylor Swift pourrait avoir sur l’élection américaine de 2024, grâce à ses 283 millions de followerssur les réseaux sociaux. Tim Walz, le co-listier de Kamala Harris ne s’y est pas trompé, en se déclarant dans la foulée « extrêmement reconnaissant envers Taylor Swift », ajoutant que « c’est le type d’acte courageux dont l’Amérique a besoin ».

Le mini « rapport d’impact » de Taylor Swift : de la musique country à l’engagement politique

Le 12 mai dernier, j’ai eu le privilège d’être invitée par mon client Paris La Défense au concert de Taylor Swift à Paris La Défense Arena, un événement mythique et complet depuis sa mise en vente il y a un an (les 180 000 places pour les quatre soirées parisiennes ont été écoulées en 1h !). J’avoue : je ne connaissais pas une seule chanson de la star, ni même l’histoire de celle qui fut la Personnalité de l’Année 2023 pour TIME (je n’ai d’ailleurs toujours pas regardé #missamericana, le documentaire qui lui est consacré sur Netflix).

Pour ne pas faire honte à la pré-ado qui m’accompagnait, j’ai quand même lu en amont pas mal d’articles sur la star dans Le Monde, The Guardian, etc. Voici un résumé de ce que j’ai retenu du concert et de mes lectures sur Taylor Swift, à la manière d’un mini-rapport d’impact que voici :

  • #impactsanitaire : d’abord, une petite alerte à l’attention des fans… Durant ce concert à la durée exceptionnelle (plus de trois heures) et à la scénographie grandiose (plus de cinq jours d’installation), le son était à l’avenant et particulièrement fort, ce qui ne semblait cela dit gêner que moi, malgré les boules Quies gentiment fournies par l’organisation. J’ai quand même lu que durant un concert à Seattle, un sismologue aurait mesuré des vibrations équivalentes à un séisme de magnitude 2,3 sur l’échelle de Richter, provoquées par la musique mais aussi par la ferveur tellurique des fans…
  • #impacteconomique : cet #ERASTour est déjà réputé être le plus lucratif de l’histoire, avec en décembre 2023 (soit à mi-parcours de la tournée qui se déroule entre mars 2023 et décembre 2024), plus d’un milliard de dollars de recettes (source : Pollstar ) et 700 millions de dollars de bénéfices nets (source : Bloomberg). Les chiffres donnent le vertige : au total, Taylor Swift aurait ainsi vendu sur cette tournée 4,3 millions de billets, avec plus de 70 000 personnes chaque soir, pour des concerts qui rapporteraient plus de 17 millions de dollars chacun. La bonne nouvelle est que cette richesse ruisselle sur les économies locales que Taylor traverse (bien que les goodies de la star, dont les recettes s’élevaient fin 2023 à 200 millions de dollars, ne respirent pas le sourcing local ou responsable pour ce que j’en ai vu). La réserve fédérale américaine parle même d’un « facteur Taylor Swift » au sujet des retombées financières liées à la tournée. Selon TravelPulse l’impact économique de la tournée sur l’économie américaine fin 2023 était d’ores et déjà de 5 milliards de dollars, tandis que le Colorado aurait constaté une hausse de son PIB de 140 millions de dollars après son passage et qu’en Australie son impact économique sur une semaine a été estimé à 0,01% du PIB…. Des chiffres qui ont donné naissance au mythe des « #swiftonomics », présentés comme un levier potentiel pour revigorer des économies en berne ;-) Il faut dire qu’en moyenne les « Swifties » (c’est ainsi que l’on désigne les fans de Taylor) déboursent 1300€ pour assister à un concert de leur idole (transport, hébergement, concert, goodies…). Autre chiffre impressionnant : pour les concerts de La Défense, 30% du public venait de l’étranger dont 20% des Etats-Unis !
  • #impactcarbone : son impact environnemental (direct) est une autre caractéristique hors-norme de Taylor Swift. L’agence de RP YARD l’a ainsi nommée « célébrité avec l’empreinte carbone la plus élevée au monde »  en 2022 puis à nouveau en 2023 en raison des kilomètres au compteur de son jet privé (ce qu’elle a contesté en expliquant que ses deux jets étaient souvent loués et utilisés par d’autres). En tout cas la star, qui évoque souvent la protection de l’environnement dans ses chansons, a du coup été rappelée à l’ordre par Forbes qui l’invitait à mieux utiliser son #influence pour faire passer des messages sur l’urgence climatique…
  • Enfin, #impactpolitique – qui est le point d’entrée de ce post, sur l’impact sociétal et culturel de la star, dont la capacité à générer des effets massifs se traduit également dans sa sphère d’influence , puisque sa voix porte bien au-delà de ses chansons. Bien qu’issue de la musique country, plutôt prisée d’un public conservateur, la star trentenaire, qui était restée discrète en 2016 lors de l’élection présidentielle remportée par Donald Trump (sans doute pour éviter de dérouter une partie de son public), était finalement sortie du bois deux ans plus tard en soutenant les candidats démocrates dans son Tennessee natal, à l’occasion d’élections locales. Puis, en 2020, Taylor Swift a très explicitement soutenu Joe Biden et incité ses 272 millions de followers sur Instagram à aller s’inscrire sur les listes électorales, provoquant une hausse de 1226 % du trafic sur le site vote.org en 24 heures. Elle a également défendu la communauté LGBT+ dans ses chansons, et pris position contre la la décision de la Cour suprême américaine d’abroger le droit à l’avortement dans le pays. Avec le post de mardi dernier, elle manifeste clairement son intention d’utiliser sa voix pour influencer le débat public – en cherchant non pas à dicter à ses fans leur conduite mais en les invitant à « faire vos propres recherches sur les enjeux et les positions de ces candidats sur les sujets qui vous importent » et à s’inscrire sur les listes électorales… Si l’on en croit Le Monde, l’influence de Taylor Swift touche particulièrement un public jeune, qui pourrait peser de façon décisive lors des élections – dans le choix du président, mais aussi dans celui des représentants et des sénateurs. Rappelons qu’en 2020, environ 48 % des 18-29 ans avaient participé au scrutin contre seulement 40 % en 2016. Selon un sondage Morning Consult, 53% de la population américaine se dit « fan » de l’artiste, dont 16% de « fans passionnés » (les fameux #swifties). De manière plus détaillée ces derniers sont tout autant des femmes que des hommes : 56% sont des Millenials ou de la Génération Z, 55 % seulement se disent démocrates, 74% sont des Blancs et 53% vivent dans les zones périurbaines où pourrait se décider la prochaine présidentielle…

De l’empreinte carbone à l’empreinte culturelle : comment l’engagement des célébrités et des marques peut changer le monde

Autant dire que Taylor Swift n’est pas seulement une star de la musique avec un #footprint environnemental significatif : elle est aussi (et avant tout) une figure publique, un « role model » et une #marque d’influence capable de façonner les perceptions et les comportements (ce que l’on pourrait appeler son #braintprint). En soutenant Kamala Harris et en encourageant l’inscription électorale, elle pourrait donc jouer un rôle déterminant dans une éventuelle défaite de Trump, ce qui aurait des implications sans doute bien plus considérables pour le climat et l’environnement que les trajets liés à sa tournée ou à ses goodies(ce qui ne veut pas dire qu’elle n’ait pas un devoir d’exemplarité et de cohérence sur ces sujets, naturellement, comme le lui a justement rappelé Forbes).

Une approche qui n’est pas sans rappeler l’engagement et le rôle sociétal des marques… à qui leur audience massive et leurs communautés de fidèles confèrent un grand pouvoir pour influencer l’opinion publique, par leurs positions et leurs produits, ce qui génère en retour une grande responsabilité dans la façon d’exercer cette influence. Au fond, les stars de la pop ou du foot, tout comme les marques, sont aussi des « marques-médias » qui portent des narratifs puissants et ont la capacité à faire basculer les normes sociales et à influencer positivement des millions de personnes, quels que soient par ailleurs leurs impacts environnementaux ou sociaux négatifs. Comme j’en avais parlé dans ce post, de nombreuses autres marques engagées (dont Patagonia et The Body Shop) ont lors du premier mandat de Trump pris ainsi des positions tranchées, au risque de rencontrer des désaccords avec une partie de leurs clients… même si 60% des consommateurs attendent désormais des marques qu’elles sortent de la neutralité et affirment leurs valeurs, au-delà de leurs intérêts, selon une étude Accenture.

Souvenons-nous de la campagne de Nike pour les trente ans de son mythique slogan Just Do It, choisissant pour égérie Colin Kaepernick, ce footballeur américain devenu célèbre pour avoir posé un genou à terre lors de l’hymne américain pour protester contre les violences policières envers les Afro-Américains. Un geste qui divisa profondément l’Amérique : les uns voyant en lui un digne porte-voix du mouvement « Black Lives Matter », les autres – et Trump le premier – lui reprochant de manquer à ses devoirs de patriote américain. Nike a démontré qu’une prise de position controversée (certains internautes ont réagi à la campagne en brûlant leurs chaussures de la marque) peut renforcer l’image de marque auprès d’autres segments du public et produire in fine des résultats économiques inattendus – 80 millions de vues, + 170 000 abonnés Instagram, +31% de ventes en ligne dans le monde et un record pour le titre Nike sur le marché boursier (83,49 dollars). Une façon de s’aliéner certains clients mais aussi de renforcer sa base de consommateurs les plus militants, comme le souligne Raphaël Llorca.

Vers un nouveau rôle pour les marques et les célébrités dans la société ?

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en afflige, c’est donc désormais un fait : selon l’Observatoire des Marques dans la Cité, 72% des citoyens américains disent que « les entreprises ont aujourd’hui un rôle plus important que les gouvernements dans la création d’un avenir meilleur » – tandis que les sportifs ou les artistes ont depuis longtemps dépassé les politiques dans la capacité d’influence et le panthéon populaire.

Cette dynamique est particulièrement forte chez les jeunes générations, comme le montre le cas de Taylor Swift. De fait, les jeunes générations de consommateurs et de salariés (Y et Z notamment) sont aussi celles qui considèrent aux trois-quarts que les marques ont le potentiel de contribuer à résoudre les problèmes sociaux, écologiques et économiques de notre temps, par leurs produits et, au-delà, par leurs messages et les imaginaires qu’elles développent. Ce, même si une proportion équivalente pense qu’elles sont encore trop focalisées sur leurs propres intérêts, sans réelle prise en compte de ceux de la société plus largement.

Autant dire que la neutralité n’est plus de mise et pourrait même s’avérer une stratégie plus risquée à l’avenir… Il est temps pour les marques et les influenceurs d’assumer leur capacité de créer des imaginaires et des « brainprints » positifs, en prenant position de manière fine dans le débat public et en participant activement à la transformation sociale et politique.

 

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