ARTICLE

Les Jeux Paralympiques nous invitent à cultiver l’inclusivité radicale et joyeuse

1er édition de la newsletter "L'optimisme en mouvement"

Vous avez vibré devant votre télé et aimé la liesse estivale de Paris 2024 ?  Vous avez regretté d’avoir fui Paris sur une plage grecque ou ailleurs, et d’avoir écouté les Cassandre qui promettaient l’horreur dans la capitale ? Voici l’occasion de vous rattraper : les Jeux #Paralympiques de Paris 2024 – Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 s’ouvrent dans deux jours, avec une cérémonie d’ouverture qui s’annonce (sur les Champs-Elysées et la Place de la Concorde) tout aussi spectaculaire que la précédente, toujours sous la houlette de Thomas Jolly. Lequel affiche haut et fort sa volonté d’allier à nouveau «festif et politique», en mettant l’inclusion et la diversité au cœur des différents tableaux et «le corps, les corps, tous les corps » au centre de cette cérémonie.

Plus enthousiasmant encore : tout comme les J.O. ont transformé notre humeur estivale et restauré notre foi en la société française, qu’on disait fracturée depuis les élections, figée dans la plainte et la colère, ces Jeux promettent de transformer radicalement notre vision du handicap – à l’image de cette affiche Nikeavec Bebe Vio, athlète paralympique déjà médaillée d’or en fleuret à Rio 2016 et Tokyo 2020, qui explique avec force ne pas venir à Paris pour gagner notre sympathie mais bien pour gagner des médailles.

La mini-controverse qui a opposé ces derniers jours, par réseaux sociaux interposés, Teddy Riner et Sofyane Mehiaoui, joueur de basket fauteuil sélectionné pour les Paralympiques, enfonce le clou : pour ce dernier aussi, les athlètes paralympiques ne sont pas les « super-héros » évoqués par le judoka en or, mais avant tout des « personnes normales » qui veulent être reconnues pour leurs performances sportives, non pour leur handicap. Des entreprises pionnières comme Apple ou Scandic Hotels ont déjà pris ce tournant, en considérant les personnes en situation de handicap comme des clients qu’il s’agit de servir le mieux possible, afin de normaliser leur place dans la société plutôt que de souligner leurs différences. Et si le handicap devenait un moteur d’innovation et d’opportunité ?

BANALISER LE HANDICAP… ET FAIRE DE LA VULNÉRABILITÉ UNE SOURCE D’INNOVATION

Cela me rappelle une intervention chezUTOPIES il y a quelques années au cours de laquelle Hamou BOUAKKAZ, ex-adjoint au Maire de Paris et aveugle de naissance, nous avait rappelé avec humour que nous vivrons tous, à un moment ou un autre, une forme de handicap en vieillissant. Il est donc à la fois crucial et urgent de banaliser et de « neutraliser » cette condition dans notre société. Ni malédiction ni héroïsme, le handicap n’est pour lui pas seulement un défi (« vivre la même vie que vous, mais avec un sens en moins »), mais aussi une opportunité, un moteur de créativité pour transformer notre environnement.

Au-delà de la simple accessibilité, Hamou insiste sur le fait que la vulnérabilité peut être une formidable source d’innovation et que les personnes présentant ce qu’il appelle un « écart à la norme » sont des « centres de recherche ambulants » – comme l’illustrent notamment, selon lui, l’invention du scanner (pour permettre une lecture plus accessible et plus rapide des documents aux personnes ayant une déficience visuelle ou physique) ou de la télécommande (pour permettre aux utilisateurs de contrôler des appareils à distance sans avoir à se déplacer physiquement) : deux innovations pensées pour répondre aux besoins de personnes handicapées… mais désormais utiles à tous !

Cette vision offre un écho intéressant aux travaux d’Amartya Sen, Prix Nobel d’économie, qui définit historiquement la vulnérabilité comme une source de « capabilités ». Son approche, centrée sur la justice sociale, affirme de la même façon que les personnes en situation de handicap doivent être considérées comme des citoyens qui doivent pouvoir exercer leurs libertés fondamentales. Pour Sen, c’est la responsabilité de la société que de créer les conditions pour cela en supprimant les obstacles qui limitent leurs possibilités d’action – que cela passe par des technologies d’assistance, des infrastructures adaptées ou des systèmes éducatifs et des environnements professionnels inclusifs.

VERS UN FUTUR RADICALEMENT INCLUSIF DANS LES ENTREPRISES ?

Du côté des entreprises, justement, mon exemple préféré sur ce sujet reste celui de Scandic Hotels , leader de l’hôtellerie (et du développement durable) en Scandinavie, qui a fait le choix dès 2003 de considérer vraiment les personnes handicapées comme des clients, en s’attachant  à comprendre leurs besoins réels, non parce que la loi les y contraignait mais pour les opportunités que cela présentait de rendre le monde plus accessible à tous.

Derrière ce projet visant à devenir l’enseigne hôtelière préférée des personnes handicapées, on trouve Magnus Berglund, qui avait précédemment travaillé comme chef plusieurs années chez Scandic. Son expérience personnelle, marquée par sa maladie rhumatismale et les difficultés pour voyager en tant que personne à mobilité réduite, l’a amené à constater les lacunes des chaînes hôtelières en matière d’accessibilité. C’est ainsi qu’il a eu l’idée de présenter à l’équipe de direction de Scandic un projet visant explicitement à attirer plus de clients en travaillant sur les questions d’accessibilité, avec l’objectif de montrer que « l’argent de chacun a la même valeur ». Devenu le premier directeur dont le travail était entièrement dédié à l’accessibilité, Magnus a joué un rôle clé dans l’orientation de Scandic vers une hôtellerie plus inclusive. Sous sa houlette, pendant 17 ans, Scandic a notamment développé une charte d’accessibilité absolument exemplaire en 159 points (dont 105 sont obligatoires dans les 300 hôtels du groupe) qui liste tous les ajustements physiques à mettre en œuvre – comme la hauteur des comptoirs d’accueil , l’adaptation des parkings, les rampes d’accès ou le « design universel » des chambres du rez-de-chaussée afin de les adapter à tous les types de handicap (avec notamment portes automatisées, salles de bains adaptées avec des sièges de douche réglables, miroirs à hauteur de fauteuil roulant, radio-réveils vibrants, etc.). Afin d’assurer le déploiement efficace de sa stratégie, Magnus a imaginé des cours en ligne et des ateliers pour l’ensemble des employés des hôtels, qu’ils travaillent à la réception, au restaurant ou dans les postes de direction. L’objectif : garantir une qualité de service homogène à tous les clients, y compris ceux avec des besoins spécifiques. Au fil de ses partenariats avec différentes associations représentant des personnes dans des situations de handicap très variées, Scandic a créé un standard interne qui va bien au-delà les obligations légales pour offrir à tous une expérience hôtelière inclusive et de qualité. Avec pour slogan « Design for all is good for everyone » (le design universel profite à tous) et une approche qui couvre aussi, naturellement, les pratiques internes (de la prise en compte des intolérances alimentaires à la cantine à l’intégration des personnes malentendantes dans les réunions en passant par la communication inclusive dans tous les supports de communication utilisés par le marketing). Et l’enseigne s’est aussi engagée proactivement à soutenir le comité paralympique suédois, qu’elle accompagne cette semaine à Paris.

Chemin faisant, Scandic a montré que l’inclusion des personnes handicapées n’est pas seulement une question de conformité réglementaire ou de #RSE, mais peut devenir un véritable atout économique… Dans le cas de Scandic, cette stratégie ambitieuse en matière d’accessibilité a d’ailleurs permis de générer 15 000 nuitées supplémentaires par an pour des clients en situation de handicap, sans compter les multiples distinctions que l’enseigne s’est vu décerner.

Et Magnus d’insister sur le fait que, dans un contexte où 65 millions d’Européens et 15 % de la population mondiale vivent avec un handicap, l’inclusivité offre aussi un immense potentiel commercial… et d’utilité sociale. Comme l’avait bien compris Steve Jobs en développant pour Apple des produits accessibles et innovants (par exemple #VoiceOver pour décrire les éléments affichés à l’écran ou le fameux #Siri pour contrôler son appareil à l’aide de sa voix), répondre aux besoins spécifiques de cette population leur offre la possibilité de participer pleinement à la société… jusque dans leur consommation via des produits adaptés à leurs besoins, qui finissent par bénéficier à tous ! Une approche qui fait écho à la campagne #Wethe15,  d’ailleurs lancée avant les Jeux Paralympiques de Tokyo 2020, pour faire entendre la voix des 15 % de la population mondiale vivant avec un handicap. Cette campagne critique l’idée que les personnes handicapées doivent être vues comme des héros, insistant sur le fait qu’elles sont des citoyens ordinaires, avec des besoins et des droits ordinaires. Le but doit donc être de les intégrer dans la société sans les « fétichiser » ou les « surhumaniser ».

Un changement de paradigme à l’oeuvre

C’est dans cet esprit également que Channel 4, dans sa nouvelle campagne pour les Jeux Paralympiques de 2024, a abandonné le terme de « super-héros » qui avait fait du bruit mais aussi de la polémique dans ses campagnes précédentes, dès Londres en 2012 : cette année les créatifs de la chaîne ont recentré le propos sur les performances des athlètes, qui méritent notre attention indépendamment de leur handicap.

Il faut dire qu’entretemps, un certain nombre de voix militant pour les droits des personnes handicapées ont fait entendre leur point de vue, comme Stella Young, militante australienne dont le TED Talk en 2014 (vu par près de 5 millions de personnes) drôlement intitulé « Je ne suis pas votre source d’inspiration, merci ! » s’attaque à l’idée que les personnes handicapées devraient être présentées comme des héros inspirants, plutôt que comme des individus pleinement capables, ayant des droits et des besoins ordinaires.

Plus récemment, le documentaire Crip Camp, produit par les Obama et encore diffusé sur Netflix, raconte l’histoire des militants pour les droits des personnes handicapées aux États-Unis dans les années 1970, mettant  en lumière comment leur combat pour  l’égalité des droits est notamment passé par une déconstruction critique de la façon dont la société valorise les personnes handicapées à partir de leur capacité à surmonter l’adversité, ce qui en fait des exceptions héroïques sur lesquelles on projette des attentes irréalistes… plutôt que de les voir comme des individus avec des compétences, des capacités et des besoins normaux.

Depuis, cette vision a gagné en traction, comme l’illustrent donc les multiples campagnes qui sortent ces jours-ci, en amont des Jeux Paralympiques de Paris 2024 : citons en particulier le film Orange (« Quand on aime le sport, on aime le sport ») qui rappelle qu’à Rio en 2016, en finale du 1500m masculin, quatre para-athlètes (dont le vainqueur, avec 1,71 secondes d’avance) ont réalisé un meilleur temps que le champion olympique chez les valides ; ou le film « Winning Is Winning » de Nike, à nouveau avec Bebe Vio, qui montre les athlètes paralympiques comme des compétiteurs d’élite acharnés, tout autant obsédés par la victoire que leurs homologues olympiques.

Bref : dépêchez-vous, il reste des billets pour certaines épreuves des Paralympiques de Paris 2024 (à prendre ici – personnellement j’irai a minima voir l’athlétisme, la natation et le ping comme on dit désormais ;-) et il faut y aller, si vous aimez le sport. Cerise sur le gâteau : vous l’avez compris, le véritable exploit proposé à chacun.e d’entre nous dans les jours qui viennent est de faire radicalement basculer la manière dont nous percevons la vulnérabilité ou le handicap. Pour ne plus les considérer comme un obstacle, ou un problème à résoudre, mais bien comme une force, une invitation à reconnaître les capacités et le potentiel de chacun.e,  une chance de valoriser la diversité des expériences et des perspectives, et une opportunité d’innover pour un monde véritablement accessible et inclusif. Il est grand temps d’intégrer cette vision à nos vies et nos entreprises.

 

Sur le même thème

Suivez toutes nos actualités
dans notre newsletter