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La Chine est-elle le nouveau super-héros (paradoxal) du climat ?

L'Optimisme en Mouvement #16

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La Chine est-elle le nouveau super-héros (paradoxal) du climat ?

L'Optimisme en Mouvement #16

Note de Position
Numéro
mai 2025

Dans un contexte où les États-Unis de Donald Trump s’enfoncent dans le déni climatique et où l’Europe peine à articuler ambitions écologiques et capacité à faire système, un pays suscite un intérêt croissant chez les experts du climat : la Chine.

Oui, vous m’avez bien lue : la Chine. Premier émetteur mondial de CO₂, grande puissance charbonnière, régime autoritaire… mais aussi, paradoxalement, puissant moteur d’espoir climatique. Depuis quelques années, la République Populaire affiche en effet la volonté résolue de construire une « civilisation écologique » – un concept formulé dès 2007 par Hu Jintao, inscrit en 2018 dans la Constitution et porté par Xi Jinping comme l’un des axes fondateurs du nouveau récit national.

Ce projet stratégique a des dimensions multiples, répondant d’abord à une urgence sanitaire : malgré les efforts menés par le pays en termes d’amélioration de la qualité de l’air, on estime qu’en 2019, 1,85 millions de personnes sont décédées d’une mort prématurée liée à la pollution de l’air – en grande majorité à cause des particules en suspension, qui accroissent le risque de maladies cardiovasculaires, d’altération des fonctions pulmonaires et de cancers. Ce phénomène devrait s’accentuer avec le vieillissement de la population de sorte que selon The Guardian, entre 2030 et 2060, des estimations parlent d’une augmentation de 116.000 à 181.000 décès supplémentaires liés à la pollution atmosphérique chaque année, si des politiques écologiques plus radicales ne sont pas mises en place.

Mais il répond aussi à une ambition industrielle explicite : devenir leader mondial sur les technologies propres. Cette ambition est elle-même le reflet des efforts de Xi Jinping pour faire passer la Chine d’une manufacture d’objets à moindre valeur à un leader technologique reconnu, avec des objectifs très volontaristes de résilience économique, de diminution de sa dépendance (notamment aux technologies américaines), et de montée en puissance dans plusieurs domaines identifiés comme prioritaires, en tête desquelles les filières de la transition écologique comme les panneaux solaires et les véhicules électriques, dont l’Empire du Milieu est devenu n°1 mondial en quelques années. Des filières décarbonées dont la croissance entraîne désormais une baisse des émissions chinoises et un recul de la part relative des énergies fossiles.

Un numéro de ma newsletter qui a été fascinant à écrire (comme il le sera, j’espère, à lire) – avec deux interviews exclusives sur le sujet de mes caramades Jorgen Randers (co-auteur avec Dennis et Donella Meadows du rapport fondateur sur « Les limites de la croissance », publié en 1972), et François Gemenne (professeur à HEC Paris et auteur principal du 6e rapport du GIEC) – tous deux parmi les meilleurs experts climatiques au monde.

 

LA CHINE, NOUVEAU LEADER DE L’ACTION CLIMATIQUE ?

A 80 ans, et « après plus d’une dizaine de tentatives et autant d’échecs pour sauver la planète », Jørgen Randers exprime sans ambiguïté depuis sa Norvège natale ce point de vue qu’il a martelé tout au long de la dernière décennie : « la Chine est probablement le pays qui va sauver le monde et le climat ». À ses yeux en effet, l’Occident, dans la double prison dorée du capitalisme et de la démocratie, se révèle incapable d’engager les réformes systémiques nécessaires pour préserver l’habitabilité de la planète. « Il faut du soutien public et des subventions pour agir, et la démocratie empêche cela, car la majorité des gens ne veut pas payer plus d’impôts », explique-t-il, rappelant que dans les pays démocratiques, l’intérêt général se heurte trop souvent à des intérêts particuliers. Son propre parcours (qui l’a mené de la tête d’une « green business » dans les années 1990 à la direction générale du WWF, puis à la direction de la Commission norvégienne du climat pour définir la feuille de route nationale sur le sujet à l’horizon 2050 ou encore à mener campagne pour le parti vert autour de cette feuille de route) l’a conduit à cette double conviction : sur le capitalisme d’abord, avec le constat qu’« il faut de l’investissement public et des subventions pour accomplir ce qui est nécessaire en matière de transition écologique et climatique, car ce domaine n’est pas assez profitable pour un investisseur privé » ; et sur les limites de la démocratie ensuite : « quand j’étais jeune, je pensais que les riches finiraient par comprendre, au-delà d’un certain niveau de revenus, qu’il fallait investir dans l’avenir collectif, mais force est de constater j’avais tort – les riches préfèrent se payer des écoles privées, de la santé privée, … plutôt que de payer des impôts pour que tout cela soit accessible à tous ». Randers décrit les États-Unis de Donald Trump comme l’archétype de ce modèle, où « les riches ont pris le contrôle et démantèlent l’État au service du collectif… ce qui pourrait bien mener à la guerre civile ».

C’est pourquoi, dit-il, il a misé depuis 2013 sur la Chine : « l’Occident ne comprend pas ce que les Chinois cherchent à faire. Ils ne cherchent pas à devenir riches individuellement, mais à créer le paradis sur terre pour 1,3 milliard de personnes – car ils ont sur leur territoire un cinquième de la population mondiale, avec une densité incroyable, et une situation qui était quasi-désespérée initialement, marquée par une grande pauvreté et une économie très agricole ». Pour lui, le régime chinois a eu la sagesse de ne pas marcher sur les traces de l’Europe ou des Etats-Unis, pour mettre en place « ce que nous aurions dû faire après-guerre » – en combinant tout à la fois la méritocratie (le Parti communiste n’accepte comme membres « que des individus qui ont fait quelque chose d’important pour le pays« ), la planification étatique (nous y reviendrons), les investissements massifs dans les infrastructures et les technologies vertes, la progression simultanée des rentrées commerciales et des revenus individuels : « la Chine a doublé le PIB par personne tous les 12 ans depuis 40 ans, ce qui veut dire que le citoyen moyen est huit fois plus riche qu’il y a quatre décennies », observe-t-il. Et de rappeler aussi que le pays est guidé par trois objectifs-phares fixés dès 2010 pour 2050, où le climat figure en bonne place puisqu’ils ambitionnent de parvenir au zéro émission de gaz à effet de serre, de créer « une Chine modérément prospère » et d’atteindre une « répartition acceptable des revenus et des richesses », pour garantir la stabilité sociale. « Quitte sur ce dernier point à demander aux ultra-riches qui déstabilisent le système de profiter de leur argent et de disparaître – comme cela semble avoir été fait en 2020 avec Jack Ma, le fondateur d’Alibaba et l’homme le plus riche du pays », souligne Jørgen.

Contenu de l’article
D’un défi à l’autre : hier, la Chine devait sortir de la pauvreté sa population incroyablement nombreuse et dense… et désormais elle doit lutter contre la pollution aux effets sanitaires ravageurs en devenant un leader des technologies propres.

Dans la lignée de ces trois objectifs-phares, le Président (à vie) Xi Jinping a d’ailleurs réaffirmé le 23 avril dernier que « quelle que soit l’évolution de la situation internationale, les efforts de la Chine pour lutter contre le changement climatique ne ralentiront pas ». Ce qui amène également François Gemenne à dire que la Chine pourrait être « la principale planche de salut de l’humanité ».

Cela peut surprendre, car les émissions de CO₂ de la Chine restent les plus élevées du monde (plus de 30 % du total mondial). Depuis 2015, la Chine a été responsable de 90 % de la croissance des émissions mondiales, malgré la signature de l’Accord de Paris. La construction de centrales à charbon se poursuit (près de 95 GW autorisés en 2024), et la Chine consomme toujours plus de charbon que le reste du monde réuni.

Mais force est de reconnaître que les signaux encourageants se succèdent : d’abord les émissions chinoises ont baissé pendant quatre trimestres consécutifs entre 2022 et 2024 – et cette baisse est due à la montée des énergies renouvelables, à l’électrification du parc automobile (près d’1 million de véhicules hybrides vendus en un mois), et à un ralentissement structurel de la construction.

Ensuite, plus récemment, les émissions de la Chine ont à nouveau baissé de 1,6% au premier trimestre 2025, soit 1% sur les 12 derniers mois. Cette baisse des émissions du premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, passée quasi-inaperçue chez nous, est toujours due à la croissance des énergies renouvelables et décarbonées, mais la nouveauté est que cette croissance, pour la première fois, non seulement absorbe et dépasse celle de la demande en énergie, entraînant également un déclin des énergies fossiles (celles-ci augmentent certes encore en valeur absolue, et notamment le charbon, mais baissent en termes relatifs). Comme dans le même temps la consommation d’énergie a augmenté de 2,5%, cela démontre aussi (et c’est une excellente nouvelle) que le découplage est en route, et que la transition est possible. Alors bien sûr, comme le souligne François Gemenne, « il faut rester prudent, car on n’a qu’un trimestre de recul et les émissions pourraient repartir à la hausse, sans compter qu’il reste beaucoup de charbon. Mais il est également possible que la Chine ait atteint le pic de ses émissions de gaz à effet de serre, avec cinq ans d’avance sur les objectifs fixés pour 2030. C’est donc majeur car cela voudrait dire que la transition est possible à grande échelle – ce serait la meilleure nouvelle de la décennie, et pourtant personne n’en parle ».

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L’évolution des émissions de CO2 en Chine … jusqu’à la baisse récente, et le développement des énergies renouvelables et décarbonées (source : Carbon Brief).

 

LA « CIVILISATION ECOLOGIQUE » COMME PROJET POLITIQUE

Revenons quelques années en arrière, pour comprendre comment ce concept de « civilisation écologique », imaginé en 2007 puis inscrit dans la Constitution en 2018, se déploie aujourd’hui au cœur du projet chinois. Longtemps, l’Europe (et la France) a été pionnière sur les questions de transition. Mais depuis le début des années 2010, la Chine a pris l’avantage sur la plupart des filières stratégiques de la transition : en 2012, elle devient leader mondial du solaire, dépassant l’Europe ; en 2015, elle prend l’ascendant sur les batteries ; en 2018, elle domine le marché des véhicules électriques ; en 2020, elle devient n°1 de l’éolien ; et en 2023, elle investit massivement dans le nucléaire de nouvelle génération. Il faut dire que le quatorzième plan (2021-2025) a clairement mis la priorité sur les énergies renouvelables, la mobilité électrique, les biotechnologies. Sur la seule année 2024, la Chine aurait investi 1000 milliards de dollars dans les énergies propres.

Cette stratégie est donc guidée par les plans quinquennaux, qui fondent la puissance du système chinois : « les 100 millions de membres du parti, soit 7 % de la population – dont des intellectuels très brillants, planchent pendant quatre ans sur le plan quinquennal, et quand celui-ci est publié, ils passent au suivant », explique Jørgen Randers. C’est selon lui cette méthode qui leur a permis de rattraper leur retard pour atteindre la richesse de la France des années 1950, avec désormais l’objectif de devenir aussi prospère que la France il y a 20 ans. Pour cela, « la Chine a développé une économie mixte – un quart est sous contrôle de l’État, et le reste relève d’une économie de marché assez classique et privée ».

Randers insiste sur les choix structurels fait par la Chine, qui maintient « un niveau d’investissement public annuel de 30 à 40 % du PIB, contre seulement 2-3 % aux États-Unis ou 12 % en France ». Ces investissements massifs financent des infrastructures majeures – routes, logements, écoles, centrales énergétiques – mais aussi des projets industriels pour développer, par exemple, les voitures électriques. « Aujourd’hui neuf des dix entreprises de ce secteur qui ont ainsi été financées par l’Etat sont toujours florissantes. Les Chinois ont compris qu’un État fort, planificateur et stratège, peut piloter la transition plus vite et plus efficacement qu’un marché livré à lui-même« , résume-t-il. Randers évoque aussi la dynamique interne : en limitant la concentration urbaine (par le hukou, un système administratif qui attribue à chaque citoyen un statut de résidence officiel, rural ou urbain, lié à son lieu de naissance et détermine l’accès aux services publics) et en régulant les flux migratoires internes, la Chine a su éviter l’émergence de bidonvilles et préserver la cohésion sociale. Il note aussi que le pays est en train de basculer d’une économie tournée vers l’industrie lourde à un modèle orienté sur les services, le bien-être et les soins – avec un « plan de 40 ans pour devenir ce que sont la France ou la Norvège d’aujourd’hui« , ironise-t-il.

Au-delà de sa planification, la force de la Chine réside aussi dans un avantage rarement reconnu : le savoir-faire de ses écosystèmes industriels. Comme le rappelle l’analyste Dan Wang, la Chine concentre non seulement les usines, mais aussi la maîtrise des chaînes de production, acquise par des décennies d’apprentissage pratique et par un travail fin de la diversité économique dans les districts industriels chinois. Elle est servie par ses efforts d’intégration verticale – avec « des entreprises qui détiennent toute la chaîne de production de A à Z « , comme l’explique la politiste spécialisée Pascale Massot (dans le numéro récent du 1 Hebdo consacré à Xi Jinping), « souvent jusqu’aux bateaux qui vont acheminer les produits » et « des écosystèmes de production complets, qui comprennent les transports, la formation des employés, leur logement, etc. Tout est organisé de manière à donner aux producteurs une force de frappe, une vitesse et un volume d’exportation proprement incroyables ».

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Ce « process knowledge », difficilement transférable, est devenu un avantage stratégique. C’est ce qui explique que la Chine ait pu devenir le premier exportateur de voitures électriques au monde mais aussi le pays où plus de 50% des nouveaux véhicules vendus sont désormais – de sorte que la qualité de l’air s’est considérablement améliorée dans les villes historiquement polluées comme Pékin ou Shanghai. Pour P. Massot, « la Chine s’est mise à produire des objets de plus en plus complexes, technologiques, en très grande quantité » et l’exemple le plus frappant est en effet celui des voitures électriques : en quelques années, le pays « a été capable de mettre en marche un cycle d’innovation, de production et de distribution tellement efficace qu’il sort un nouveau modèle par an, là où l’Occident en conçoit peut-être un tous les cinq ans. » Il faut dire que les principaux fabricants de voitures y sont désormais les marques de téléphonie ou d’ordinateurs, qui voient les voitures comme des objets connectés sur roues. Pour preuve, Xiaomi Technology, fabricant de smartphones, a lancé avec succès une voiture électrique (la SU7), en 2024.

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Un autre exemple de la puissance de cette intégration verticale est la façon dont le pays est devenu, en une décennie, le cœur manufacturier de la transition énergétique mondiale, et tout particulièrement sur le solaire. La Chine contrôle ainsi entre 75 % et 97 % de chaque étape clé de la chaîne d’approvisionnement en panneaux solaires – incluant la production de polysilicium, la fabrication de lingots, de plaquettes, de cellules photovoltaïques et l’assemblage des modules. Le gouvernement chinois a soutenu l’essor de cette industrie par des subventions, des crédits à taux préférentiels et des politiques fiscales avantageuses. Résultat : en 2023, la Chine représentait 80 % de la production mondiale de panneaux solaires, avec des exportations atteignant 45 milliards d’euros. Ce soutien étatique a permis aux entreprises chinoises de croître rapidement et de dominer le marché mondial, entraînant  une baisse significative des prix des panneaux solaires qui rend l’énergie solaire plus accessible à l’échelle mondiale… mais soulève en contrepartie des inquiétudes sur la dépendance à une seule source d’approvisionnement.

Des entreprises comme TONGWEI Group et Risen Energy sont des exemples notables de cette approche : elles gèrent l’ensemble du processus de production, depuis la fabrication du polysilicium jusqu’à l’assemblage des modules solaires. Cette approche leur permet de contrôler la qualité à chaque étape et de réagir rapidement aux fluctuations du marché.

Jinko Solar Co., Ltd., un autre acteur majeur basé à Shanghai et désormais coté à Wall-Street, a également adopté une stratégie d’intégration verticale. Fondée en 2006, l’entreprise est devenue dix ans plus tard le plus grand fabricant mondial de panneaux solaires photovoltaïques, avec une présence dans plus de 100 pays et une part de marché mondiale estimée à 12,6 % en 2019.

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UN MODELE AUSSI INSPIRANT QUE PROBLEMATIQUE ?

On l’a compris, cette « green domination » chinoise soulève en Occident autant de questions qu’elle n’apporte de solutions.

Un régime autoritaire peut-il être un modèle ? La Chine est classée 151e sur 167 pays dans le Democracy Index 2023 de The Economist . La situation des Ouïghours, les restrictions à la liberté d’expression ou l’absence de contre-pouvoirs sont autant d’éléments qui posent problème. François Gemenne, auquel j’ai parlé à son retour de Chine, dresse le constat : « le régime est de plus en plus autoritaire et le contrôle social notamment progresse rapidement : on a désormais des caméras qui affichent votre visage aux yeux de tous si vous traversez au feu rouge pour les piétons, et on n’a plus besoin de billets dans le TGV car la reconnaissance faciale fait office de validation ».  Et comme le soufflent certains depuis un moment (Jørgen Randers est explicite sur l’échec des démocraties à faire le nécessaire sur la transition, et il rejoint en cela d’autres penseurs du sujet comme Dominique Bourg), l’approche autoritariste pourrait permettre de rendre plus vite effectifs des changements de comportements nécessaires… car la non-conformité n’est pas une option. Pour preuve, l’interdiction des sacs plastiques à usage unique a été mise en œuvre de manière plus radicale qu’en Europe puisque depuis le 1er janvier 2021, dans les grandes villes chinoises, les commerces, restaurants, supermarchés et hôtels n’ont tout simplement plus le droit de fournir des articles en plastique à usage unique (sacs, pailles, couverts en plastiques…).

Autre contradiction : les nouveaux géants chinois de l’hyperconsommation, comme SHEIN ou Temu, qui incarnent les excès d’un modèle fondé sur des milliards de produits à très bas prix – souvent produits dans des conditions opaques, avec une empreinte carbone massive. Certes, cette production répond à une demande occidentale. Mais elle témoigne aussi du double visage d’une Chine qui a pris le leadership de la décarbonation de l’économie tout en ne promouvant pas une modération de la consommation, au contraire. Car comme le rappelle la politiste Valérie Niquet (toujours dans le 1 Hebdo du 20 avril), la Chine reste « largement tributaire de ses exportations vers les économies les plus développées, seules à même d’absorber les excédents de sa surproduction systémique. Sans ces débouchés, affirme-t-elle, la stabilité sociale – obsession centrale du régime – serait menacée ».

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Jørgen Randers voit, de son côté, les choses différemment : pour lui, le choix stratégique fait par la Chine, depuis les années 2000, de s’appuyer sur des entreprises comme Shein et Temu pour soutenir son développement industriel répondait à la nécessité de « commencer avec une industrie exportatrice de biens manufacturés souvent copiés et à très bas coût vers les marchés occidentaux pour accumuler des liquidités, se doter d’infrastructures et améliorer le niveau de vie de sa population », explique-t-il. A l’entendre, c’est donc « un instrument temporaire, conçu pour générer les ressources nécessaires à la transition économique« . En 2015, la Chine a d’ailleurs lancé le programme Made in China 2025, qui visait, sur deux plans quinquennaux, à cesser de vendre des produits à bas prix pour fabriquer des produits plus utiles (comme DeepSeek AI, le générateur de texte par IA open source entièrement gratuit, lancé par la Chine en début d’année, à la surprise générale). Il ajoute : « la Chine pourrait décider demain de fermer Temu ou Shein, pour l’instant elle ne le fait pas pour ne pas déstabiliser les propriétaires de ces entreprises et surtout leurs nombreux employés« .

D’autres pointent le fait qu’en parallèle de son engagement écologique, la Chine a développé son pouvoir économique et diplomatique (elle a fait reculer les États-Unis sur les tarifs douaniers) mais aussi son pouvoir militaire via des partenariats stratégiques avec la Russie et l’Afrique notamment. Loin de l’autarcie culturelle d’antan, Xi Jinping est en croisade de « soft power » partout dans le monde, comme les dirigeants qui l’ont précédé : depuis le 17e congrès du Parti communiste de 2007, le régime s’est en effet donné pour objectif de faire rayonner la culture chinoise, pour séduire et influencer – en misant sur la culture pluri-millénaire de la Chine. Développés depuis 2004, avant l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, un réseau de 525 Confucius Institute à but non lucratif (dont 17 en France) diffuse ainsi sur tous les continents, dans 154 pays, la langue (avec des cours de mandarin, des séjours linguistiques et même des bourses pour les étudiants qui partiraient en Chine) et la culture chinoises (conférences, expositions, cinéma, cours de calligraphie, peinture, céramique, taï-chi-chuan, …). Jørgen Randers, lui, minimise ces initiatives : « c’est l’équivalent chinois des Alliances françaises, à la manière des missionnaires d’autrefois… mais sans la volonté conquérante. Forts d’une culture millénaire et de leurs 4000 ans d’histoire, les Chinois ne sont pas selon moi animés par le désir d’imposer leur influence ou d’accumuler des territoires – sinon ils auraient annexé l’est de la Russie depuis longtemps. Après le siècle dernier qui a marqué un recul de leur rôle global, je pense qu’ils cherchent simplement à retrouver leur influence normale, sans volonté d’hégémonie. »

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De fait, le récit national hérité de Mao rappelle ce « siècle d’humiliation » de la Chine par les pays occidentaux et le Japon, et justifie l’affirmation de sa puissance actuelle. A cela, explique Le 1 hebdo, Xi Jinping a ajouté la convocation des philosophes et imaginaires anciens – réinterprétés pour justifier la place de la Chine dans le monde. Dans son pays, souligne Francois Bougon, ex- correspondant de l’AFP, dans ce même numéro du 1 Hebdo, le discours du Président chinois met ainsi « en scène un roman national qui engloberait l’ensemble de l’histoire de la Chine et dont il serait l’aboutissement » – avec pour horizon 2049, année du centenaire de la fondation de la République de Chine. En se positionnant « pas seulement (comme) l’héritier de Mao, mais aussi (comme) celui de la Chine impériale, du confucianisme et du taoïsme », il s’attache les pays voisins et s’affirme aussi comme leader incontestable des pays du Sud global, désormais abandonnés par l’aide internationale américaine. En Afrique, la Chine joue de son statut de pays « du Tiers-Monde » face à l’Occident pour s’attirer le soutien des élites : beaucoup y ont une vision positive de Pékin parce que la Chine investit massivement sur le continent africain (elle s’y intéresse doublement, comme une source de matières premières et comme marché pour les productions chinoises les moins sophistiquées), mais aussi parce qu’elle nourrit une relation qui n’est pas perçue comme un rapport de force néo-colonial. A ce sujet, Jørgen Randers rappelle que « la Chine a décidé il y a 15 ans qu’elle était assez riche pour commencer à faire de l’aide internationale : c’était dans un plan quinquennal, et elle a commencé à construire des infrastructures pour les populations locales (chemins de fer, ports, etc.) et des industries d’exportations – notamment pour obtenir les matières premières dont le pays avait besoin. Notons d’ailleurs que ce n’était pas tant pour son propre enrichissement que pour pouvoir produire ce dont les Européens et les Américains avaient besoin. »

Quoiqu’il en soit, la culture chinoise fait son nid, et finalement en atteignant la première le Graal climatique visé par tous, la Chine pourrait bien réussir à convaincre le monde que son système fonctionne mieux que le capitalisme libéral et démocratique à l’occidentale. Et les résultats de cette stratégie à la Sun Zi (auteur du célèbre « L’art de la guerre » au 6e siècle avant J.C.,) sont là : le Kenya a mis le chinois à ses programmes scolaires dès 2020, et TikTok est sponsor du Festival de Cannes. Mieux encore : selon une étude récente réalisée sur 110 000 personnes et 96 pays par le sondeur Nira Data, la Chine est en 2025 la seule des trois grandes puissances qui ait une image positive nette, tandis que les Etats-Unis et la Russie ont plus d’opinions négatives que positives. Selon l’étude, 55% des pays ont aujourd’hui une opinion négative des Etats-Unis (le chiffre a été multiplié par deux en un an) et 79% lui préfèrent désormais la Chine.

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ET SI L’EUROPE S’ALLIAIT A LA CHINE ?

Dans ce contexte, et même si l’idée peut sembler provocante, plusieurs experts avancent désormais l’idée d’une alliance stratégique entre la Chine et l’Europe, au nom du climat et de la survie de la planète.

Jørgen Randers affirmait déjà dans une interview au China Daily en 2022, que si les ambitions climatiques de la Chine étaient suivies à l’échelle mondiale, et notamment par l’Europe, cela suffirait à résoudre le problème. « Si le monde entier atteignait un pic de ses émissions de CO₂ dans la prochaine décennie et les ramenait ensuite à zéro autour de 2050 ou 2060, dans notre modèle, cela suffirait à maintenir la hausse des températures en dessous de 1,5 °C. Il n’est pas nécessaire que le reste du monde suive la Chine pour résoudre le problème, il suffirait juste que les deux autres plus grands émetteurs de gaz à effet de serre dans le monde, à savoir l’Europe et les Etats-Unis, suivent les politiques de la Chine et s’allient avec elle », affirmait-t-il, précisant que cela permettrait aux 170 ou 180 autres nations, majoritairement des pays pauvres, de se concentrer sur la lutte contre la pauvreté. Pour Randers, le monde riche, qui ne regroupe qu’1,5 milliard de personnes sur 8 milliards, pourrait « simplement réduire de 50 % ses émissions » pour laisser de l’espace au développement économique des autres. Cette approche pragmatique et équitable, où « ceux qui ont causé le problème se consacreraient à en réparer les dégâts« , impliquerait aussi d’éviter que les pays du Sud ne se développent en recourant au charbon, mais « en construisant des panneaux solaires et des éoliennes« . En somme, résumait déjà Randers, la solution climatique passe par un leadership pragmatique et massif de la Chine, et par l’adoption d’une transition écologique globalement solidaire.

Un autre point fort du modèle chinois – que Randers appelle le « socialisme pragmatique » et qui pourrait selon lui inspirer l’Europe dans ses propres efforts de transformation – est sa capacité à financer des investissements publics non rentables à court terme, via ses banques publiques. En résumé, pour lui, cela ne fait aucun doute : « l’Europe devrait s’associer à la Chine, c’est une évidence : l’économie chinoise est plus grande que celle des États-Unis, et l’économie européenne l’est également. Ensemble, les deux représentent un quart ou un tiers de l’économie mondiale et pourraient sauver la planète. »

De son côté, affirme aussi François Gemenne, « on ne rattrapera pas les Chinois, donc il nous faut trouver des façons de collaborer avec eux ». Beaucoup pensent encore que la Chine est dans un modèle d’apprentissage accéléré et de réplication des innovations occidentales.  Mais le récent succès de DeepSeek laisse penser qu’elle a les moyens de sortir de ce schéma pour devenir un leader en matière d’innovation. « Il faut se souvenir qu’en chinois, le mot apprendre est le même mot que copier, rappelle Gemenne, et c’est parce que la Chine sait faire cela, apprendre en copiant, qu’elle est capable de passer à l’échelle et de baisser les coûts, comme elle l’a fait sur les panneaux solaires par exemple. Pour sauver le climat, nous avons donc intérêt au plagiat, et je crois que nous allons devoir trouver un modus vivendi avec la Chine. »

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QUE RETENIR (ET APPRENDRE) DE CE « MODELE CHINOIS » ?

Même si Pékin se positionne comme la puissance raisonnable du moment, la Chine ne saurait incarner un modèle unique… et incontesté. Mais elle est un paradoxe fécond, qui dans le contexte actuel nous oblige à penser au-delà des oppositions binaires.

D’abord, elle démontre que la puissance publique, la planification, la continuité politique, l’investissement massif dans les infrastructures et les technologies vertes peuvent donner des résultats rapides et systémiques.

Ensuite elle pose évidemment de sérieux dilemmes : peut-on admirer son efficacité sans cautionner ses dérives ? Comment concilier transition écologique et droits humains, industrialisation verte et hyperconsommation exportée ? Le déjà cité François Bougon affirmait il y a quelques années que si la Chine parvenait « à conjuguer le néo-autoritarisme et l’innovation technologique », alors elle serait la « dictature parfaite du 21ième siècle »… ce qu’il confirme désormais : « même s’il faut se méfier des effets d’annonce du type de ceux qui ont entouré le lancement de l’IA générative Deepseek fin janvier (…), ce qui fait la force de la Chine aujourd’hui, c’est cette capacité de la société chinoise à innover même dans un cadre bureaucratique, totalitaire, voire tout à fait dystopique ».

Par dessus tout, la performance climatique de la Chine nous provoque et nous oblige à élargir nos imaginaires. Et à considérer qu’à l’heure où les modèles occidentaux s’essoufflent, le leadership climatique mondial pourrait, demain, venir d’ailleurs que de chez nous…

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