Et si la transition écologique ne se jouait pas seulement dans les laboratoires scientifiques et les arènes politiques — mais aussi dans les temples, les mosquées, les synagogues, les églises et les lieux sacrés du monde ? Et si les grandes traditions religieuses, parfois perçues comme conservatrices ou déconnectées du réel, étaient en réalité des forces puissantes de changement culturel, alliées de la régénération écologique puisque capables d’inspirer, de relier, de mobiliser ? Alors que le Pape François, récemment disparu, s’était distingué par deux textes forts sur les sujets de l’écologie intégrale (Laudato Si’, 2015) et du climat (Laudate Deum, 2023), cette newsletter est l’occasion de nous pencher sur les ponts entre spiritualité et écologie, du Vatican aux forêts amazoniennes, de la COP27 aux dix nouveaux commandements de la planète. Pour une autre manière de croire, de se mettre en mouvement individuellement et collectivement… pour passer à l’action.
1. L’HERITAGE DU PAPE FRANÇOIS : UNE REVOLUTION SPIRITUELLE QUI MET LA FOI AU DEFI DE LA CRISE ECOLOGIQUE
À l’heure de l’intelligence artificielle et des fake news, dans un monde dominé par la technologie, la finance et la politique, qui penserait à chercher du côté des religions pour relever le défi climatique ? Pourtant, depuis quelques années, un courant profond tisse des liens entre la spiritualité et l’écologie. Il ne s’agit pas d’une mode, mais d’une mutation : celle qui voit des traditions millénaires, dont la vocation est de guider l’Humanité, répondre avec leurs mots, leurs récits et leur force morale, à l’urgence de la sauvegarde de notre maison commune.
Le pape François, qui vient de disparaître, restera comme le rappelle François Gemenne celui qui a le plus puissamment exprimé cette nécessité dans deux textes majeurs : d’abord Laudato Si’, son encyclique sur l’écologie intégrale publiée en 2015, l’année-même de l’Accord de Paris (voir le texte intégral ici), puis Laudate Deum, son exhortation apostolique écrite en 2023, à l’approche de la COP 28, où le pape se montre exaspéré devant la lenteur des réactions des gouvernements, qu’il exhorte à agir et à sortir des énergies fossiles (lire le texte intégral ici).
Dans le premier texte, le pape invite à sortir de l’inertie, donc, pour la « sauvegarde de notre Maison commune » et à considérer de manière holistique la « complexe crise socio-environnementale » à laquelle nous sommes confrontés : il ne parle donc pas que de climat, mais traite également de la biodiversité, des ressources, des pollutions, de l’eau, … et ne se limite pas aux solutions technologiques, mais appelle à des « solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux », afin de travailler simultanément à « combattre la pauvreté, (à) rendre leur dignité aux exclus et (à) préserver la nature”. Selon lui, cette « écologie intégrale » prend également en compte les dimensions éthiques et spirituelles de la façon dont les humains sont censés se comporter les uns avec les autres, et envers le monde naturel. Dénonçant la volonté humaine de manipuler et de contrôler la nature, le pape rappelle aussi le “consensus scientifique très solide” selon lequel d’une part le changement climatique est un fait, et d’autre part les activités humaines constituent la première cause de ce réchauffement, dont il affirme qu’il est “l’un des principaux défis actuels pour l’humanité”. L’encyclique souligne l’inadéquation majeure des efforts jusqu’à présent entrepris pour faire face à la crise climatique – du fait, selon le pape, que “beaucoup de ceux qui détiennent plus de ressources et de pouvoir économique ou politique semblent surtout s’évertuer à masquer les problèmes ou à occulter les symptômes”. Prônant enfin un mode de vie plus sobre, le pape condamne sans équivoque le consumérisme et promeut l’idée d’une « conversion écologique » dans laquelle la rencontre avec Jésus conduit à une communion plus profonde avec Dieu, les autres et la nature – pour un monde meilleur et plus solidaire. Il conclut sur un appel à une transformation collective de nos modes de vie, mais aussi des structures de pouvoir.
Le second texte, écrit huit ans plus tard, est intitulé « Louez Dieu » parce que, selon le pape qui reprend la plume, « un être humain qui prétend prendre la place de Dieu devient le pire danger pour lui-même ». Dans cette exhortation qui durcit le ton, le pape dénonce l’irresponsabilité des élites et insiste sur l’urgence d’une transition contraignante et contrôlable, constatant « que les signes du changement climatique sont là, toujours plus évidents », qui nous invitent à un sursaut face à l’inaction climatique. Le texte critique vivement le climato-scepticisme et « certaines opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l’Église catholique », rappelant une nouvelle fois la science est sans équivoque sur le sujet et « qu’on ne peut plus douter de l’origine humaine, anthropique, du changement climatique ». Il s’indigne aussi de ce qu’il appelle le « paradigme technocratique », c’est-à-dire une confiance exagérée dans les solutions technologiques qui a pour effet d’occulter les changements sociaux et culturels nécessaires. Dénonçant « l’idée d’une croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup d’économistes, de financiers et de technologues », il rappelle « que le monde qui nous entoure n’est pas un objet d’exploitation, d’utilisation débridée, d’ambitions illimitées », ni même un simple cadre où nous développerions nos vies et nos projets, car nous sommes une partie de la nature, de sorte que « le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur ».
2. UNE MOBILISATION RELIGIEUSE ORGANISEE – DE L’INVESTISSEMENT ETHIQUE AUX PARTENARIATS AVEC DES ONG ENVIRONNEMENTALES
Mais le pape François n’est pas seul : rabbins, imams, moines bouddhistes, sages hindous, représentants des peuples autochtones… sont nombreux à prôner depuis plusieurs années une forme de « conversion écologique », ancrée dans une vision du monde où l’humain est humblement relié au vivant.
Et il faut évidemment saluer aussi les pionniers de l’investissement éthique qui furent, partout dans le monde au vingtième siècle, des congrégations religieuses soucieuses de placer leur argent dans des entreprises compatibles avec leurs convictions spirituelles. Avec une pensée ici pour Sœur Nicole Reille, que j’ai eu le plaisir de croiser aux débuts de UTOPIES dans les années 90 : alors économe de la Congrégation Notre Dame, cette pionnière (décédée en 2012) avait créé en 1983 l’association ASS ETHIQUE ET INVESTISSEMENT qui donnera naissance au premier fonds éthique en France. Aux États-Unis, la communauté des Sisters of St. Francis à Philadelphie a été pionnière en matière d’engagement actionnarial responsable, et la coalition d’investisseurs éthiques Interfaith Center on Corporate Responsibility (ICCR) (ICCR, créée en 1971) a joué un rôle majeur dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 80. L’Église épiscopale américaine (The Episcopal Church) a elle aussi formalisé dès les années 1970 une stratégie d’investissement socialement responsable reposant sur trois piliers : l’exclusion de certains secteurs (armement, tabac…), les investissements à impact local (logement, développement communautaire), et l’activisme actionnarial pour influencer les entreprises cotées.
Du côté de la religion juive, l’Union for Reform Judaism a adopté dès les années 1990 des résolutions incitant les institutions affiliées à privilégier des investissements conformes aux principes de tikkoun olam (réparation du monde), notamment dans les domaines du logement social, de la microfinance et de la justice économique. Pour la religion musulmane, les premiers fonds d’investissement conformes à la charia (le « chemin pour respecter la loi divine ») voient le jour dans les années 1980 avec, par exemple, le Amana Mutual Funds Trust, créé en 1986 aux États-Unis, qui exclut les entreprises liées à l’alcool, au jeu, aux intérêts financiers et aux activités contraires aux principes islamiques. En Asie, l’Oxford Centre for Hindu Studies a collaboré avec Dow Jones pour lancer en 2008 le Dharma Index, un indice boursier aligné sur les principes hindous tels que ahimsa (non-violence) et dharma (éthique). En Afrique, l’Église éthiopienne a développé des lignes directrices nationales pour l’investissement éthique, intégrant des principes bibliques afin de soutenir sa mission spirituelle tout en répondant aux besoins sociaux de la communauté. Enfin, Salaam Bank a ouvert en 2024 la première banque islamique d’Ouganda, illustrant l’essor de la finance verte conforme à la charia sur le continent africain.
En parallèle de cette émergence de l’investissement éthique des congrégations religieuses, plusieurs initiatives ont démontré à partir des années 80 l’ampleur de l’engagement religieux dans la protection de la planète, et l’importance du dialogue entre les religions sur le sujet. Ainsi dès 1995, le WWF a créé au Royaume-Uni, avec le Prince Philip, l’Alliance of Religions and Conservation (ARC), pour établir des partenariats entre ONG environnementales et traditions religieuses. Chose rare mais signe que les choses avancent, cette Alliance a choisi de fermer boutique en 2019, considérant avoir accompli sa mission qui consistait à « aider les religions à s’engager dans la protection de la nature, et à permettre aux organisations de conservation de travailler avec les religions, dans un contexte initial où, à ses débuts, beaucoup pensaient qu’il y avait peu de lien entre foi et environnement. Aujourd’hui, il est rare de trouver un décideur qui en doute encore. Et lorsqu’une idée est reprise, il est temps de la laisser vivre ailleurs. »
D’autres programmes ont repris le flambeau, comme l’initiative Sacred Earth: Faiths for Conservation du WWF qui se mobilise aux côtés des communautés de foi qui considèrent la Terre comme un dépôt sacré à préserver. Ce programme, lancé en tant que projet pilote en 2008 pour former les moines et nonnes bouddhistes tibétains à la protection de l’environnement dans l’Himalaya, est devenu une initiative internationale à part entière. Il agit aujourd’hui comme plateforme pour aider les chefs religieux à diffuser des messages de conservation et de changement. Pour Dekila Chungyalpa, sa directrice, « plus de 80 % des êtres humains se déclarent croyants : cela fait des religions l’un des plus puissants leviers de mobilisation pour l’environnement ». Sacred Earth s’appuie aussi sur la protection des sites naturels sacrés, comme le parc Sagarmatha au Népal (sacré pour les Sherpas) ou la forêt Kaya au Kenya (sacrée pour les Mijikenda), afin d’articuler foi et préservation de la biodiversité.
En 2017, le PNUE (UN Environment Programme) a également lancé la coalition Faith for Earth, et en 2020, cette initiative s’est alliée au Parliament of the World’s Religions pour publier Faith for Earth – A Call for Action, un ouvrage qui dresse un panorama des principes religieux soutenant la protection du vivant.
Parmi les autres initiatives interreligieuses travaillant sur les sujets environnementaux, on note aussi l’Interfaith Rainforest Initiative, qui mobilise les religions en soutien aux forêts et aux peuples autochtones, GreenFaith, un réseau multiconfessionnel global pour le climat, ou encore le Yale Forum on Religion and Ecology, un projet universitaire interreligieux à l’origine du champ académique « religion et écologie ».
Plus près de nous, le Collège des Bernardins, au coeur du quartier latin à Paris, incarne l’un des lieux les plus actifs du dialogue entre spiritualité, sciences humaines et transition écologique – où la foi et la raison se rencontrent pour éclairer les défis contemporains. C’est aussi le seul édifice gothique à ne pas être consacré à un usage religieux. En 2008, après une rénovation, le Diocèse de Paris réouvre le bâtiment historique avec un objectif bien précis : élaborer des interfaces de dialogue entre l’Eglise et la société – avec des formations, des pôles de recherche, des expositions et des espaces où se côtoient intellectuels, artistes et scientifiques. « Ces questions dépassent les clivages habituels entre sacré et profane. Il est essentiel de les instruire dans un esprit de bonne volonté, observe Olric de GELIS, théologien et codirecteur de la chaire Laudato si’ au Collège des Bernardins, dans une interview récente aux Echos. Bien malin qui pourrait prétendre résoudre seul les grandes questions de notre époque dans un monde aussi complexe. » Avec la création en 2021 de cette chaire Laudato Si’ « pour une nouvelle exploration de la Terre », codirigée par Olric de Gélis, donc, et l’historien de l’environnement Grégory Quenet – à l’initiative et sous le parrainage intellectuel de Bruno Latour (anthropologue et philosophe disparu en 2022, et auteur notamment de « La religion à l’épreuve de l’écologie », livre d’entretiens publié à titre posthume en 2024) -, mais aussi le lancement trois ans plus tard du département d’humanités environnementales, le Collège propose une « écologie de la réconciliation » : ni culpabilisante, ni technocratique, mais ancrée dans l’espérance, la réparation, et la cohabitation harmonieuse avec le vivant. Ancrée aussi dans une double conviction du fait que « le drame que révèle la crise écologique, c’est l’individualisme » de sorte qu’il faut « absolument trouver des formes d’associations sociales, humaines et non-humaines », mais aussi du fait que la parole religieuse reste un « levier de transmission important » et un réel outil de transformation. L’approche associe les disciplines, mêle théologie, géochimie, anthropologie ou urbanisme, et sort des salles de classes pour s’incarner dans des projets concrets : participation à la refonte des abords de Notre-Dame pour laisser la place au vivant, création d’un observatoire « monuments historiques et développement durable » pour réconcilier patrimoine et nature (mais aussi influencer l’Eglise comme propriétaire immobilier et foncier), projets artistiques ou d’observation à l’Abbaye de Paimpont (Ille-et-Vilaine), sur le littoral breton pour étudier les algues vertes, ou encore à Correns (Var), le premier village bio de France. Le Collège devient ainsi un laboratoire spirituel et citoyen, où s’invente une écologie enracinée dans la culture et ouverte sur la société.
Ces réseaux construisent une diplomatie morale mondiale qui initie des campagnes, des liturgies vertes, des engagements de désinvestissement des énergies fossiles, des plaidoyers pour la justice climatique, mais aussi des invitations à considérer les religions comme un espace de résilience collective face à la montée de l’éco-anxiété et du désespoir climatique. Dans toutes les traditions, en effet, les prières, rituels, chants, retraites, actions de charité (sur la santé, la pauvreté, l’exclusion) et autres jeûnes … sont autant de manières de cultiver la paix, l’égalité et la joie dans l’intériorité et la solidarité plutôt que dans le matérialisme et le consumérisme, tout en travaillant à une communion plus forte avec Dieu et le monde – en canalisant la peur vers l’action, et la solitude vers la communauté.
3. DES TRADITIONS QUI PARLENT AU NOM DE LA TERRE, AVEC UNE CONVERGENCE INTERRELIGIEUSE SANS PRECEDENT
Dans la lignée de ces initiatives, un sommet interreligieux organisé à la COP 27 en Égypte en 2022, par une autre initiative soutenue par l’UNESCO, The Elijah Interfaith Institute. Ce projet, fondé à Jérusalem en 1997, œuvre pour le dialogue spirituel entre les grandes religions du monde. Rassemblant des chefs religieux juifs, chrétiens, musulmans, hindous et bouddhistes au sein de son Board of World Religious Leaders, l’institut encourage la rencontre, la réflexion théologique partagée et l’action commune, notamment autour des grands enjeux contemporains comme l’environnement, la paix et la dignité humaine. En promouvant une spiritualité de l’altérité, The Elijah Interfaith Institute rappelle que les traditions religieuses, loin de s’opposer, peuvent converger dans la protection du vivant et la recherche d’une écologie de la compassion. Réunis à la COP27, les représentants du judaïsme, du christianisme, de l’islam, du bouddhisme et de l’hindouisme ont ainsi envoyé un message très clair : la crise écologique est aussi une crise spirituelle. « Les émissions de gaz à effet de serre continueront à augmenter tant que l’humanité restera prisonnière du consumérisme, de la cupidité, de l’autosatisfaction instantanée et de la pensée à court terme. Et des solutions spirituelles sont nécessaires pour changer ce système de valeurs… » affirmait ainsi le Rabbin Yonatan Neril, fondateur du Centre interconfessionnel pour le développement durable, à l’origine de cette initiative.
Au coeur de cette initiative et de cette rencontre, c’est la convergence des visions du rapport au vivant et à la nature portées par chacune des grandes traditions religieuses qui s’opère. Car le lien entre spiritualité et nature varie selon les origines géographiques et culturelles des traditions religieuses, comme l’avait déjà souligné dans les années 60 l’historien Lynn White Jr (voir son article “The Historical Roots of Our Ecologic Crisis” dans la revue Science, vol. 155, 1967), dans une critique des traditions judéo-chrétiennes et du christianisme occidental qu’il accusait d’avoir contribué à la crise écologique via une vision dualiste et anthropocentrée du monde, en arrachant l’Homme à son unité ancienne avec la nature et en introduisant une séparation radicale entre l’humain et le reste du vivant – contrairement à des traditions plus holistiques comme celles des peuples autochtones, ou certaines religions asiatiques. D’autres auteurs soulignent d’ailleurs historiquement que les religions du désert (telles le catholicisme ancien, le judaïsme ou l’islam), nées dans des milieux arides et des zones désertiques, privilégient souvent une vision spirituelle de la nature, parfois perçue comme une épreuve ou un décor plus que comme un jardin à cultiver. Mais les choses ne semblent pas si tranchées car dans l’islam, la Terre est considérée comme une mosquée – et le respect de l’environnement est partie intégrante des Maqasid al-Sharia, les objectifs supérieurs de la loi islamique. De son côté, le judaïsme met en avant la figure des Shomrei Adamah – les gardiens de la Terre – et insiste sur la tikkoun olam, la réparation du monde. Quant au christianisme, il réinterprète peu à peu le verset souvent cité de la Genèse 1:28 (« Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre. ») comme un appel à la responsabilité, à la garde et au soin, à la lumière d’un autre extrait de la Genèse 2:15 où Dieu place l’humain dans le jardin d’Éden « pour le cultiver et le garder ».
Cette approche rejoint alors celle des religions (comme le protestantisme nord-européen) marquées par des territoires agricoles et boisés, qui ont développé une éthique de la responsabilité (stewardship), fondée sur le soin actif de la Création et la promotion d’un rapport plus laborieux, domestique ou « jardinier » à la terre. Tandis que les religions asiatiques (hindouisme, bouddhisme, taoïsme) mettent en avant le concept d’interdépendance radicale de tous les êtres et intègrent donc l’humain dans un tout cosmique, où les cycles naturels et le respect du vivant guident la sagesse spirituelle (ahimsa, karma, tao). Et que les spiritualités autochtones, ancrées dans des lieux précis, considèrent la nature comme un sujet sacré, une mère nourricière, et non comme une simple ressource ou un « environnement » – abolissant ainsi la frontière entre sacré et profane, humain et non-humain.
Ces différences sont évidemment des complémentarités précieuses à mobiliser face à la crise écologique – car la diversité des récits religieux est une chance pour nourrir « l’écologie spiritualiste » que le biologiste Jean-Marie Pelt appelait de ses voeux (voir son livre « Nature et spiritualité », publié en 2008),. En effet, du respect absolu du vivant par la non-violence (ahimsa) à la responsabilité humaine dans la préservation du monde (stewardship), en passant par des récits puissants de réparation, de renaissance ou de cohabitation avec la nature, ces visions permettent d’aborder la crise environnementale et climatique sous plusieurs angles : éthique, émotionnel, narratif, communautaire et existentiel. Et cette pluralité, à la fois enracinée dans les cultures locales et ouverte à l’universel, peut permettre de générer une mobilisation plus large et d’inspirer des réponses adaptées aux différentes réalités du monde. C’est le sens de ces dix commandements posés pour la protection de la planète qui travaillent sur les points de convergence profonde des grandes traditions philosophiques, spirituelles et religieuses du monde : nécessaire sobriété écologique pour limiter l’épuisement des ressources naturelles, interdépendance Homme-nature et nécessaire alliance pour maintenir les grands équilibres biologiques et climatiques, mais aussi mise en cause du rêve prométhéen où sciences et techniques, étroitement liées au capitalisme, emmènent l’humanité au pas de charge dans un rêve de puissance et de domination, au mépris de toute modération et sagesse. Concrètement cette convergence s’est donc incarnée en 2022 dans les dix grands principes interreligieux (voir le texte original ici) que voici :
Ces principes, en trouvant une résonance dans la sagesse de chaque tradition, forment désormais un socle commun qui doit permettre de construire une nouvelle alliance avec le vivant et de toucher chacun, quelle que soit sa croyance.
CONCLUSION : LES RELIGIONS, FORMES SUPERIEURES DE RECITS POUR CHANGER LE MONDE ?
Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue, disait Victor Hugo. Il n’est plus temps de considérer les traditions religieuses comme des freins au progrès écologique — mais bien comme des leviers puissants de transformation culturelle. La force d’influence des religions, leur capacité à transmettre une vision du monde, à fédérer des communautés, à relier l’individu au collectif – et au sacré – autour de valeurs universelles, peut constituer une ressource précieuse pour affronter les bouleversements qui viennent.
Mieux encore : si les religions sont, par définition, des récits, elles pourraient bien permettre d’embarquer, philosophiquement et pratiquement, non seulement leurs fidèles mais aussi toutes les personnes de bonne volonté – croyantes ou non. Car étymologiquement, le mot religion (du latin religo, religāre) désigne bien ce qui nous relie… mais aussi ce qui nous permet de relire ce qui nous arrive, à travers le prisme du récit. Non pas par le simple langage (les arbres et les animaux aussi communiquent), mais par cette capacité profondément humaine à croire aux histoires qu’on se raconte — et à les transformer.
Comme on l’a vu, chaque religion contient ainsi ses narratifs fondateurs, qui peuvent éclairer notre manière d’aborder la crise écologique : dans le christianisme, un récit-clef est celui du pardon, de la résurrection et de la régénération – la possibilité de recommencer. Dans le judaïsme, on trouve le récit de la traversée, du déplacement vers un ailleurs, du nomadisme – mais aussi celui de la brisure, comme dans le rituel du verre cassé, qui rappelle que le vivre ensemble se construit aussi avec nos failles. Dans l’islam, le Coran raconte la survie en milieu hostile, l’endurance, et la mise en mouvement comme source de foi.
Ces récits, transmis au fil des générations, se ré-interprètent à chaque époque. Le contexte historique, culturel, écologique fait toujours émerger une lecture nouvelle, et révèle leur puissance transformatrice. Or comme le souligne le rabbin Delphine Horvilleur, « la période actuelle est idéale pour penser la puissance des récits, car nous avons du mal à trouver les mots du monde qui émerge. »
Loin du dogme, les récits religieux nous invitent à penser la responsabilité, la solidarité intergénérationnelle, la durabilité — non dans la peur ou la rupture, mais dans la confiance et la continuité. En se focalisant sur ce qui dure dans nos vies, au-delà de nos vies, et qui ramène toujours à ce que nous aurons planté ici : des arbres… ou des histoires.
Autrement dit : la religion ne sauvera peut-être pas seule la planète. Mais elle peut contribuer à sauver le sens de nos existences, face aux défis immenses qui sont devant nous.
UTOPIES s’est construit en accès libre, en échange nous pouvons vous partager des articles sur les sujets qui vous intéressent
* Champ obligatoire
UTOPIES s’est construit en accès libre, en échange nous pouvons vous partager des articles sur les sujets qui vous intéressent
* Champ obligatoire